Assis confortablement dans un 4x4, quelques touristes observent un groupe de lions couchés à l'ombre d'un acacia, le ventre bedonnant. Une femelle lève sa tête, ouvre la gueule, et se dresse sur ses pattes. Non loin de là, un mâle se prélasse. Son impressionnante crinière fait de lui le favori du clan. La lionne approche, frotte sa tête contre celle du lion, puis tout son corps contre le sien, de chaque côté. Elle le courtise. Le mâle se lève à son tour. La femelle se met en position, devant lui, et sans attendre, ils s'accouplent. Dans le véhicule, les gens rigolent, commentent, mitraillent et mémorisent cette scène. Sur leurs clichés, en arrière plan, ils verront d'autres véhicules. Ce jour-là, un des touristes en a compté 28 ! Bien plus que le nombre de félins qu'ils auront vu tout au long de leur safari-photo... Le lion était sur le point de capituler, par la force des choses, par la force humaine...
Mais eux, fréquentant chaque soir les lodges ou les camps de toile, une boisson fraîche pour se désaltérer, eux ne le savent pas. Ils sont là pour en profiter. Tant qu'il y en a !
Car la famille qu'ils ont observé dans l'après-midi, peut-être renfermait-elle les derniers lions d'Afrique. Mais eux, puisqu'ils les ont vus, ils ne le savent pas.
Quinze années plus tard, ces amateurs de grands espaces regardent leurs photos et leurs cassettes. Ils se souviennent, et ils regrettent. Oui, ils regrettent de ne pas avoir pris conscience du danger qui pesait sur les grands félins en 2015. Ce n'était pourtant pas faute d'en avoir parlé. Mais ils avaient d'autres préoccupations, comme celle de ramener de belles images ou ajouter un pays à leur palmarès touristique.
Les ONG ont fait ce qu'elles ont pu. Certains se sont battus jusqu'à en mourir, pendant que d'autres tiraient des lions sans défense lors de leurs safaris-chasses en Afrique australe.
Nous sommes en 2030. A quoi ressemble la savane, cette terre sans lions ? Les vautours ont aussi disparu et les chacals vivent sans doute leurs derniers instants. Cela fait déjà cinq ans qu'il n'y a plus de guépards dans la réserve de Masaï Mara au Kenya. Ce monde est devenu triste, fade et gris, trop gris. L'économie touristique n'est plus que l'ombre d'elle-même. Presque tous les employés sont rentrés chez eux, ne pouvant plus nourrir leur famille car, sans salaire. Certains gagnent la capitale, emplissant encore davantage une banlieue ressemblant à un gigantesque bidonville où la guerre s'est installée. Celle de l'eau.
Il paraît que la société a vécu une crise financière terrible à partir de 2007. Aujourd'hui, c'est la planète qui vit une crise sans précédent !
Pendant longtemps, nous nous sommes demandés si nous étions seuls dans l'univers. Nous n'avons jamais eu de réponse. Mais ce dont nous sommes sûrs à présent, c'est que nous sommes seuls sur la Terre, seuls à nous battre contre nous-même...
Si nous avions su, chacun aurait fait un peu d'efforts pour que le lion ne meurt jamais. Nous sommes en 2030 et c'est trop tard.
Un monde sans lions, c'est un monde sans rêve. Un monde sans lions, c'est un monde sans vie.
Pascal Fournié - 24 février 2011